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Fermeture en juin prochain de la papeterie Stora Enso de Corbehem

31/01/2014 by Marc de Ferrière

Ce titre d’un article du Monde paru début janvier me touche particulièrement pour de nombreuses raisons.

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Tout d’abord parce qu’il concerne une usine que je connais bien dans une région que je connais aussi fort bien. Et j’imagine immédiatement le choc local que cette annonce a pu provoquer, quand on sait combien cette petite région au contact du Nord et du Pas-de-Calais voit ses usines fermer les unes après les autres.

Mais ce n’est pas, à titre personnel le plus important.

L’usine de Corbehem, c’est pour moi un établissement un peu spécial pour plusieurs raisons. J’en ai entendu parler avant même de savoir où se trouvait ce petit village dans la famille de ma femme. Elle était un des deux gros pourvoyeurs d’emploi de la vallée de la Scarpe, entre Arras et Douai. On y travaillait alors chez Béghin, travail dur, souvent posté, mais avec des avantages, en particulier longtemps un emploi sûr et une vraie politique paternaliste, avec ses avantages et ses contraintes.

Et puis un jour, un éditeur m’a proposé d’écrire l’histoire de cette usine, il “tait persuadé qu’il y avait un bouquin intéressant à éditer. Je me souviens alors, en automne 1997 avoir découvert à la fois l’usine, l’entreprise, les lieux et un métier dont j’ignorais tout. Car c’est une usine complexe que cette papeterie. Construite sur un champ de ruines par les frères Béghin au lendemain de la première guerre mondiale, elle est d’abord une sucrerie, une des plus puissantes et une des plus moderne de France alors. Reliée à ses champs de betteraves par petit train ou par conduite, elle fournit en quantité le sucre qui rend célèbre la marque Béghin.

Très vite les deux frères vont non seulement la moderniser mais aussi profiter de l’emplacement, le long de la rivière et de la voie ferrée pour élargir les productions. C’est d’abord une cartonnerie pour répondre au besoin de l’entreprise, puis du papier journal pour fournir entre autres les journaux parisiens propriétés de la famille. C’est aussi une distillerie pour écouler les excédents liés à la production de betteraves. En bref, 4 usines sur un même site.

Et comme les frères Béghin, puis la génération suivante, Ferdinand sont des entrepreneurs de qualité, l’usine connaît un très fort développement dans tous les domaines, à part l’alcool. Et cela dur jusqu’au milieu des années 1970 et la chute du vieux patriarche, quand Ferdinand perd le contrôle de son groupe. Pour l’usine de Corbehem c’est le début du déclin, fermeture de la sucrerie dans les années 1980, fermeture de la cartonnerie en 98 et fermeture progressive des machines des années 1980 au début du XXIe siècle. Il reste cependant à Corbehem un sujet de fierté, celle qu’on appelle sur place la 5, ou la Machine 5, la cinquième machine à papier, construite lors du rachat par les Allemands puis les Suédois pour en faire la plus puissante machine à papier magazine du monde lors de son inauguration.

Lorsque je visite l’usine pour la première fois, c’est la cartonnerie en cours de fermeture qui permet que je fasse un livre. Le PDG de l’époque m’expliqua qu’il voulait comprendre la culture de son usine. Chaque fois qu’il prenait une décision importante, et la fermeture de la cartonnerie en est une, qui plus est symbolique, les employés, les syndicats, les anciens lui rétorquaient : “Du temps de Monsieur Ferdinand ça ne se serait pas passé comme ça”. Et ce patron d’ajouter : Ça fait plus de 20 ans que Ferdinand est parti, comment montrer que je ne m’inscris pas contre lui ?”

Et c’était à la fois pour comprendre et montré qu’il ne méprisait pas l’entreprise et sa culture qu’il me commanda un livre, me laissant totale liberté tant de traîner dans l’usine, d’interroger qui je voulais et de rédiger comme je l’entendais. La seule contrainte pour moi était que le livre soit publié à temps pour qu’il puisse l’offrir à chaque employé pour Noël 1998 et que j’accepte de faire une conférence à l’ensemble du personnel à cette occasion.

Le challenge a été tenu, le livre a été édité, diffusé, lu, et l’histoire paraissait belle. Le titre choisi par mon éditeur, Les cinq vies de Corbehem laissait entendre que comme le chat, cette usine revivait toujours.

C’est aussi pour cela que j’ai un peu de nostalgie à savoir qu’elle est condamnée, pas de sixième vie finalement pour Corbehem.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là pour moi. Pour écrire le livre j’ai dû apprendre ce qu’étaient l’industrie papetière et l’industrie sucrière. Pour le sucre c’était assez simple, il y avait déjà des travaux et ce n’était pas la part la plus importante de l’ouvrage. Pour le papier, c’était beaucoup plus complexe. Il m’a fallu apprendre les processus de fabrication, les différences entre les types de pâtes et de papiers ou de cartons, les techniques de production, le fonctionnement d’une machine à papier. En un mot j’ai découvert le fonctionnement d’une industrie lourde, très fortement capitalistique, à très faibles rendements et qui fabrique un des produits les plus fragiles, le papier. Pour acquérir ces connaissances rien de tel que de passer du temps dans l’usine, mais pour l’historien les archives sont aussi le cœur du travail. Hors celles de Corbehem avaient brûlé en 1940. J’ai donc récupéré des fonds épars pour reconstituer ma biographie de l’usine et de son patron un peu mythique. Après la publication du livre, il me restait de ce fait une masse de documentation inutilisée. Ce fut la matière de mon HDR et du livre qui en a été tiré ensuite, faisant de moi sans réellement le vouloir un des rares historiens spécialistes de l’industrie papetière en France au XXe siècle.

Ce n’est donc pas qu’une usine qui ferme pour moi, c’est aussi une partie de mon histoire, personnelle et professionnelle, et je ressens de ce fait une vraie nostalgie à la lecture de cette nouvelle, tout en partageant peut-être plus que pour les autres usines, le désarroi de tous ceux que cela va toucher directement.

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Posted in Général, Historien |

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